IX

Il ne lui fallut que deux minutes pour immobiliser le duc dans un fauteuil à l’aide de plusieurs fouets de chasse qui avaient été accrochés aux murs.

Entre-temps, le duc était sorti de son étourdissement. Il commença à hurler toutes les invectives qu’il connaissait, et son répertoire était vaste, lui promettant toutes les tortures raffinées auxquelles il pouvait penser, et, en ce domaine, le choix était également étendu. Green attendit que le duc se fut infligé une mauvaise laryngite, puis il lui annonça, d’une voix calme et autoritaire, ce qu’il avait l’intention de faire s’il refusait de l’aider à sortir du château. Afin de lui prouver qu’il ne plaisantait pas, il prit une masse d’arme hérissée de pointes de fer et l’envoya tournoyer dans les airs. Les yeux du duc s’écarquillèrent, et il pâlit. Immédiatement, ce noble hautain, qui menaçait son ravisseur des pires tourments, se métamorphosa en un vieillard ratatiné et tremblotant.

— Je briserai jusqu’au dernier oiseau de cette pièce, ajouta Green. Puis j’ouvrirai le coffre qui se trouve derrière cette pile de fourrures, et j’en sortirai votre trésor le plus précieux : l’oiseau que vous n’avez même pas osé montrer à l’Empereur, de crainte qu’il n’en soit jaloux et qu’il vous le demande comme présent, cet oiseau qu’il vous arrive parfois de sortir de son écrin et de contempler jusqu’à l’aube.

— Ma femme t’en a parlé ! hoqueta le duc. Oh, quelle izzot !

— Je ne vous le fais pas dire, approuva Green. Elle m’a étourdiment confié d’innombrables secrets, étant donné qu’elle est écervelée, fainéante, stupide et idiote... en bref, que c’est une femme qui vous convient à merveille. C’est ainsi que je sais où vous dissimulez l’unique statuette d’exurotr jamais faite par Izan Yushwa, de Metzva Moosh : cet oiseau de cristal pour l’achat duquel vous avez prélevé de lourds impôts, ce qui a fait verser des pleurs amers à vos sujets et leur a valu maintes privations. Non, je n’aurai aucun scrupule à le détruire, bien que ce soit l’unique exurotr jamais reproduit et qu’Izan Yushwa soit à présent décédé, ce qui rend cette pièce unique impossible à remplacer.

Le duc fut horrifié et Green crut que ses yeux allaient sortir de leur orbite.

— Non, non ! supplia-t-il d’une voix chevrotante. Ce serait impensable, blasphématoire, sacrilège ! N’avez-vous donc aucun sens de la beauté, esclave dégénéré que vous êtes pour pouvoir seulement envisager de détruire l’objet le plus beau jamais façonné par les mains de l’homme ?

— Je n’hésiterai pas un seul instant.

Les commissures des lèvres du duc s’affaissèrent. Brusquement, il éclata en sanglots.

Green était embarrassé, car il devinait à quel point l’émotion de cet homme devait être grande pour qu’il s’effondrât ainsi devant un ennemi, lui qui avait été à rude école. Et il s’interrogea alors sur l’étrangeté de la nature humaine. Le duc aurait préféré se faire trancher la gorge plutôt que de passer pour un couard en faisant des concessions afin de sauver sa vie. Mais dès l’instant où sa précieuse collection d’oiseaux de cristal était menacée... !

Green haussa les épaules. Pourquoi vouloir tenter de comprendre ? L’unique chose importante était de mettre à profit toutes les opportunités qui se présentaient à lui.

— Très bien. Si vous désirez sauver ces objets, voici mes instructions.

Et il expliqua en détail ce que devrait faire et ordonner le duc. Ensuite, il lui fit prêter le plus solennel des serments de ne pas le trahir, sur la tête de sa famille et sur l’honneur de ses ancêtres.

— Et, afin d’être plus tranquille, je vais garder l’exurotr sur moi, ajouta le Terrien. Après m’être assuré que vous avez tenu parole, je prendrai des dispositions pour qu’il vous soit rendu intact.

— Puis-je y compter ? haleta le duc qui faisait rouler ses yeux bruns.

— Oui. Je contacterai Zingaro, l’agent commercial de la Guilde des Voleurs. Il vous fera parvenir la statuette, en échange d’un dédommagement, naturellement. Mais, avant de conclure cette affaire, vous devez également jurer de ne faire aucun mal à Amra, ma femme, ou à aucun de ses enfants, et de ne pas confisquer ses biens. En bref, que vous continuerez d’agir envers elle comme si rien ne s’était produit.

Le duc eut des difficultés à avaler sa salive, mais il fit ce serment. Green était heureux, car bien qu’il fût sur le point d’abandonner son épouse, il avait, faute de mieux, obtenu l’assurance qu’elle n’aurait pas à souffrir de la colère ducale.

Ce fut après une longue, très longue heure, que Green sortit de la grande armoire de l’appartement du duc à l’intérieur de laquelle il s’était dissimulé. Bien que le noble eût fait le plus solennel des serments, il était aussi perfide que les autres barbares de cette planète, c’est-à-dire extrêmement perfide. Green était resté derrière la porte, en sueur, pour écouter la conversation parfois incohérente qui se déroulait entre le duc, ses soldats et la duchesse. Le duc était un excellent acteur car il était parvenu à convaincre son auditoire qu’il avait pu se dégager de la prise de cet esclave dément, ce Green, qu’il s’était emparé d’une épée et avait contraint ce misérable à sauter du balcon. Naturellement, plusieurs gardes avaient vu un objet des dimensions d’un homme passer par-dessus la balustrade et tomber avec bruit dans les douves. Il ne faisait aucun doute que l’esclave avait dû se rompre les reins, lorsqu’il avait atteint les flots, ou qu’il avait été assommé et s’était noyé. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, il n’était pas remonté à la surface.

En dépit de sa tension, Green, qui gardait l’oreille collée à la porte, n’avait pu s’empêcher de sourire. Ses forces, conjuguées à celles du duc, avaient permis de soulever une statue de bois représentant le dieu Zuzupatr, lestée de plats de fer afin qu’elle ne pût flotter. Sous la faible clarté lunaire, et en raison de l’excitation qui régnait, la ressemblance entre et le corps d’un homme devait avoir été suffisamment pour tromper tout le monde.

L’unique personne qui paraissait mécontente était Zuni. Elle faisait autant de tapage qu’elle en était capable, agissait de la façon la plus indigne qui fût, s’emportait contre son époux en lui reprochant son caractère sanguinaire et son manque de retenue qui l’avaient privée des tortures raffinées qu’elle avait projetées pour l’esclave qui avait tenté de la  déshonorer. Le duc, dont le visage s’empourprait de plus en plus, lui avait brusquement hurlé de cesser de se conduire comme une izzot et de regagner de ce pas ses appartements. Afin de lui démontrer que ce n’étaient pas des paroles en l’air, il avait ordonné à plusieurs soldats de l’escorter. Mais Zuni était trop stupide pour comprendre à quel point sa situation était délicate, à quel point était proche la hache du bourreau. Elle avait continué de débiter ses inepties jusqu’au moment où le duc avait adressé un signe à deux soldats. Ils l’avaient saisie par les épaules... tout au moins Green le supposait-il, car elle leur avait hurlé d’ôter leurs sales pattes de son corps... puis ils l’avaient entraînée hors des appartements. Même alors, il avait fallu un certain temps au duc avant de pouvoir refermer les portes derrière le dernier visiteur.

Le petit duc avait ouvert la porte de l’armoire. Il tenait à la main la robe verte d’un prêtre, les lunettes sacerdotales hexagonales, et un masque prévu pour la partie inférieure du visage. Ce masque était traditionnellement porté par les moines qui effectuaient une mission pour le compte d’un haut dignitaire. Pendant que le moine avait le visage ainsi dissimulé, il était lié par le serment de n’adresser la parole à personne, tant qu’il n’aurait pas joint le destinataire du message qu’on lui avait confié. Ainsi Green pourrait-il éviter des questions embarrassantes.

Il enfila la robe, mit les lunettes et le masque, puis rabattit le capuchon sur sa tête et glissa l’exurotr de cristal dans sa chemise. Il chargea le pistolet qu’il plaça dans une des vastes manches, le retenant de son autre main.

— N’oubliez pas, dit anxieusement le duc en ouvrant la porte et en s’assurant que personne ne se trouvait dans l’escalier. N’oubliez pas que vous devrez prendre toutes les précautions possibles pour que l’exurotr ne soit pas endommagé. Dites à Zingaro de le placer immédiatement dans un coffret capitonné de soie et empli de sciure, afin qu’il ne sen brise pas. Je souffrirai mille morts tant que cette pièce n’aura pas regagné le sein de ma collection.

Et moi, pensa Green, je souffrirai mille morts tant que je ne serai pas hors de ta portée, hors de cette ville, loin dans le Xurdimur, à bord d’un voilier des plaines.

Il répéta à nouveau sa promesse de respecter son serment, dans la mesure où le duc ferait de même, mais ajouta qu’il prendrait également toutes les mesures nécessaires pour parer une éventuelle trahison. Puis il se glissa hors des appartements et referma la porte. Il serait désormais livré à lui-même jusqu’au moment où il embarquerait à bord de l’Oiseau de Fortune.

L'Odyssée Verte
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